Le rôle des indications géographiques en Europe et dans le monde : vers une transformation internationale à travers la politique commerciale de l'UE ?
Laurent Manderieux  1, *@  , Gabriele Gagliani  2, *@  
1 : Chercheur indépendant
Chercheur indépendante
2 : Chercheur indépendant
Chercheuse indépendante
* : Auteur correspondant

 

 

L'étendue de la protection des indications géographiques (IG)[1] dans l'Union européenne (UE) s'est considérablement développée grâce à la jurisprudence la Cour de justice de l'UE (CJUE) : dans un certain nombre d'arrêts (tels ceux des affaires Champanillo, Morbier, Queso Manchego, Scotch Whisky et Viniverla), la CJUE a entre autres précisé qu'il est interdit dans l'UE aux produits non protégés par des IG de présenter certaines caractéristiques ou d'utiliser des images qui évoquent des IG. Cela s'applique quand bien même des produits ou services non protégés par des IG sont différents de ceux protégés par les IG et proviennent de la zone géographique des IG concernées.

La présente contribution soutient que, outre l'élargissement de l'étendue de la protection des IG déjà discutée par la Doctrine, les IG se sont transformées en un droit de propriété intellectuelle (PI) différent, potentiellement capable de protéger plusieurs aspects d'un produit.

Cette transformation et ses implications ne sont pas passées inaperçues dans la jurisprudence, comme en témoignent les conclusions de l'Avocat général de la CJUE Pitruzzella dans l'affaire Queso Manchego, où il relevait que « la protection contre l'évocation rappelle celle qui est accordée aux marques renommées ». Dans la même lignée, prenant certainement en considération la nécessité de ne pas trop étendre la protection des IG (mais craignant que cette possibilité ne se produise), M Pitruzzella convenait avec la Commission européenne dans ses conclusions de l'affaire Morbier que la forme ou l'apparence d'un produit peut représenter une évocation interdite d'une IG à condition que l'élément reproduit ne soit pas « intrinsèquement lié à un procédé de production qui, en tant que tel, doit rester à la libre disposition de tout producteur ». Ainsi, alors que l'objet de la protection des IG reste une indication ou un terme, la protection par les IG s'étend à plusieurs éléments d'un produit IG, tels que sa forme, son apparence et ses caractéristiques.

Or une telle transformation du rôle des IG, que l'on pourrait qualifier de « contamination » d'autres droits de PI, est susceptible de se produire au niveau international : la présente contribution passe en revue plusieurs accords de libre-échange de l'UE et y a identifié l'utilisation d'un langage identique ou similaire à celui de la législation européenne relative aux IG. Cela pourrait conduire l'UE, ses États membres et/ou les exportateurs de produits protégés par les IG de l'UE à les interpréter conformément à la jurisprudence de la CJUE. Néanmoins, à la lumière de la dynamique entourant les négociations de ces accords, il est possible de douter que certains des partenaires commerciaux de l'UE puissent accepter aisément une transformation aussi importante du rôle des IG.

 

[1] Le terme IG est utilisé ici pour désigner un certain nombre de moyens différents de protection des noms et des symboles, allant des indications de provenance aux appellations d'origine, et d'autres signes distinctifs similaires.


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