Labellisation des produits de terroir et durabilité territoriale. Discussion à partir de l'exemple de la Corse
Caroline Tafani  1@  
1 : Lieux, Identités, eSpaces, Activités  (LISA)  -  Site web
Université Pascal Paoli, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR6240
UFR Drittu, Scenzi suciali, ecunòmichi è di gestioni 22, av. Jean Nicoli, BP 52 20250 Corti -  France

Depuis une quarantaine d'années, la Corse a développé une trajectoire de développement qui s'appuie sur deux maître-mots : l'identité et la qualité. En effet, après avoir expérimenté les prémices d'une production viti-vinicole et d'un tourisme de masse dans les années 1970, l'île a rapidement opté pour le tournant de la qualité dès les années 1980 (Furt & Maupertuis, 2006). Dès lors, les produits identitaires (Taddei & Antomarchi, 1997) - que sont notamment les produits de terroir- ont été réappropriés et furent l'objet d'une revalorisation culturelle et marchande. De nombreux produits agro-alimentaires ont alors été placés au centre de démarches de qualification pour l'obtention d'une Appellation d'Origine. Depuis les 1ères appellations dans les années 1975-1983 (Vin, Brocciu), on ne dénombre pas moins de 22 produits sous IG à l'heure actuelle. Dans ce projet de développement, le tourisme tient une place essentielle : multiplicateur de la demande, positionné plutôt haut-de-gamme, il tend à élargir le bassin de consommation et apporte à la destination Corse une clientèle aisée avec une forte propension à acheter des produits de terroir (Vandecandelaere & Abis, 2012 ; Hirczak & alii., 2008). Consommer le produit de terroir fait partie intégrante de l'expérience touristique (Bessière & alii., 2006) et les touristes ne sauraient repartir sans leur produit-souvenir. Pourtant, s'il apporte une haute valeur ajoutée au territoire, ce modèle de développement fondé sur le « panier de biens et services territorialisés » (Moalla & Mollard, 2011) n'est pas sans générer certains effets pervers qui interrogent sa durabilité autant que la soutenabilité du territoire. Tout d'abord, la forte hausse induite du prix des produits de terroir entraîne une forme de gentrification alimentaire dans un territoire où plus de 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté. D'une certaine manière, ce sont des aliments qui permettent de faire communauté localement qui échappent à la consommation des résidents. Ensuite, ce modèle de développement s'accompagne d'inévitables effets d'aubaine : pour une organisation collective difficile à mettre en place et à entretenir, avec des coûts de transaction parfois élevés pour ces adhérents, combien de passagers clandestins tirant profit des IG à moindres frais ? Ces stratégies de contournement mettent à mal la gouvernance du système et tendent à l'affaiblir alors qu'elle s'avère souvent fragile tant les jeux d'acteurs peuvent être tendus (voir le Brocciu Corse : Millet & Casabianca, 2019). Enfin, certains opérateurs tirent avantage des effets de réputation de l'IG en mettant en œuvre de véritables stratégies de détournement de l'image de qualité construite collectivement : il s'agit là d'opérations frauduleuses visant à vendre l'image du territoire sans apporter les garantis sur l'origine des matières premières qui viennent alors d'ailleurs (Casabianca & Tafani, 2017). Se pose alors la question de savoir comment gérer au mieux ces effets pervers ? Ne faudrait-il pas infléchir la trajectoire de développement pour construire une « économie ordinaire » (Lamine et Chiffoleau, 2012) qui serve les résidents autant que les touristes ? Ne peut-on pas déjà déceler un certain nombre de signaux faibles comme autant de « sursauts » du modèle de développement actuel ?


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